2022-09-26

L'obligation de réserve ne saurait servir à réduire un magistrat au silence ou au conformisme

Conseil supérieur de la magistrature, conseil de discipline des magistrats du siège, décision du 15 septembre 2022 :

"(...) Sur le manquement au devoir de réserve et sur l’atteinte à l’image et au crédit de la justice française

La liberté d’expression de tout citoyen bénéficie d’un niveau élevé de protection. En particulier, l’article 11 de la déclaration du 26 août 1789 des droits de l'homme et du citoyen dispose que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». L’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme stipule que « toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière ».

S’agissant des magistrats, la liberté d’expression doit être conciliée avec leur devoir de réserve posé par l’article 10 de l’ordonnance statutaire.

S’ils peuvent faire connaître leur opinion, ils doivent toutefois s’exprimer de façon mesurée afin de ne pas compromettre l’image d’impartialité et de neutralité indispensable à la confiance du public ni porter atteinte au crédit et à l’image de l’institution judiciaire et des juges ni donner de la justice une image dégradée ou partisane. La parole du magistrat est en effet reçue comme l’expression d’une appréciation objective qui engage non seulement celui qui s’exprime mais aussi, à travers lui, toute l’institution de la Justice (CEDH (grande chambre), arrêt du 23 avril 2015, Morice c. France, n° 29369/10).

Cette obligation de réserve ne saurait servir à réduire un magistrat au silence ou au conformisme. Sa portée doit s’apprécier au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, qui a élaboré plusieurs critères : l’intérêt général du débat en cause, l’absence de divulgation d’informations secrètes, l’absence d’intentions cachées du magistrat et l’objectivité du propos, qui n’exclut pas une certaine dose d’exagération. La Cour prête une attention particulière au risque, que pourrait faire peser l’infliction d’une sanction, de décourager des citoyens et particulièrement des magistrats de participer au débat public. Elle s’assure que l’action de poursuite « soit exempte de tout soupçon d’avoir été menée à titre de représailles pour l’exercice de ce droit fondamental » qu’est la liberté d’expression (CEDH, arrêt du 12 février 2009, grande chambre, Guja c. Moldavie n° 14277/04, CEDH, arrêt du 26 février 2009, Koudechkina c. Russie n° 29492/05, CEDH, grande chambre, arrêt du 23 juin 2016, Baka c. Hongrie n° 20261/12, CEDH, arrêt du 19 octobre 2021, Todorova c. Bulgarie n° 40072/13, CEDH, arrêt du 1er mars 2022, Kozan c. Turquie n° 16695/19). (...)"